Valérie Fourneyron a annoncé la semaine dernière son intention de
mettre fin à la tutelle de l'Etat sur les fédérations sportives, dans le
même temps les membres du comité olympiques plébiscitaient « le projet
du CNOSF pour le sport Français » dans lequel, le mouvement sportif
revendique une plus grande autonomie. La qualité du projet a été salué
par la ministre.
Après le temps du projet contre projet, le temps d'un projet partagé est il venu ?
En tout cas ces déclaration sont de nature à engager une réflexion sur le rôle des
acteurs du sport en France et peut être à évoluer vers une relation
plus équilibrée souhaitée par le mouvement sportif. Une relation dans
laquelle « aucun des acteurs n'a le pouvoir sur l'autre.. « selon
Denis Masseglia.
Ces 2 projets : d'un coté celui du CNOSF et de l'autre celui de la
ministre pour l'instant matérialisé par un courrier daté du 27 décembre
2013 adressé aux présidents de fédérations dans lequel est décrit l'
»esprit de la loi sport » pose désormais la question du service public
du sport et du périmètre d'intervention de l'Etat notamment. Nous ne
traiterons pas dans cette contribution de la place du service des sports
territorial (cf sur ce sujet notre contribution 2013-12-24
Décentralisation : le sport une nouvelle fois absent du développement
régional, une absence de vision à court et moyen termes et plus globalement nos propositions relatives à la modernisation du sport ,
contribution à revisiter au regard de la volonté du président de la
république de clarifier les compétences des collectivités territoriales).
Un service public construit au cours des années d'après guerre
De la fin du XIX ème siècle à la seconde guerre mondiale le sport
s'est construit dans une logique privée sans intervention de l'Etat et
grâce à la liberté d'association. C'est après la seconde guerre mondiale
et en particulier avec l'ordonnance du 28 aout 1945 que l'Etat va
décider de maintenir le système de tutelle mis en place par la charte
des sports du 20 décembre 1940 sous le gouvernement de Vichy.
Dans
l'ordonnance de 45, l'Etat s'attribue le droit d'autoriser (par le biais
du ministre de l'Education Nationale) l'organisation des compétitions
sportives qui donnent lieu à la remise d'un titre international,
national, ou régional ainsi que le choix des sélections nationales (art.
1 er). Dans le même temps, l'Etat prévoit la possibilité de déléguer
ses pouvoirs (d'autorisation), à des fédérations déterminées ».
C'est
ensuite dans les années 60 que l'Etat, sous l'impulsion du général de
Gaulle en réaction aux résultats des JO de Rome (zéro médaille d'or), va
élargir son périmètre d'intervention et se donner les moyens de ses
ambitions en mettant en place le dispositif des Directeurs techniques
nationaux et des conseillers techniques régionaux. C'est ce dispositif
des cadres techniques central dans l'organisation du sport en France qui
est aujourd'hui au cœur du débat entre le mouvement sportif et le
ministère des sports, nous y reviendrons.
Au fil des années l'intervention de l'Etat s'amplifie avec la mise en
place de réglementations (enseignement et encadrement des APS, sécurité
des pratiques, équipements sportifs, différentes professions, suivi
médical, .... ) , la délivrance de formations, la gestion du haut
niveau, et aussi l'enseignement de l'EPS.
Au delà grâce au CNDS, le
ministère des sports soutient l'accès au sport pour tous, le sport comme
outil de santé publique, la construction d'équipements sportifs, ...
En réalité hormis sur les missions régaliennes (réglementation,
sécurité), le ministère soutient des dispositifs, contractualise, incite
les opérateurs, mais n'intervient plus directement depuis très
longtemps comme le montrent notamment les baisses d'effectifs et les
réductions d'actions dans les services départementaux.
Un état trop lourd, trop lent trop cher ?
Dans ses vœux adressés aux corps constitués, le président de la
république assène « L'Etat doit changer (...) pour être utile au pays »,
le disant « trop lourd, trop lent, trop cher », avec une organisation
« de plus en plus mystérieuse »
Ces propos sont ils valables pour le ministère des sports ? Avec 250
M€ de budget difficile de considérer que le budget des sports de l'Etat
(en réalité le programme sport) est trop cher ! En tout cas le sport
rapporte beaucoup plus qu'il ne coute que ce soit à travers la
fiscalité ou les effets positifs de la pratique physique sur la santé.
Trop lourd et trop lent peut être pour certaines procédures mais le
débat à notre sens n'est pas là.
Au delà des moyens humains et financiers la question est,
l'intervention de l'Etat dans le domaine du sport doit-elle être
modifiée ou non ? faut il toiletter l'organisation mise en place dans
les 30 glorieuses
Si l'intervention de l'Etat des années 60 à la fin des années 80
était justifiée pour accompagner les acteurs du sport (qu'il s'agisse
des fédérations, des clubs ou des collectivités territoriales) à se
structurer, cette intervention est elle encore pertinente aujourd'hui ?
Une organisation spécifique
Ce qui fait la spécificité du modèle français, l' exception sportive
c'est à la fois le système de délégation de prérogative de puissance
publique aux fédérations délégataires sur l'édiction des normes
techniques et l'organisation des compétitions et les cadres techniques
placés auprès des fédérations :
- D'un coté un système de quasi
délégation de service public sans aucune procédure de mise en
concurrence qui installe les fédérations délégataires dans une
situation de monopole,
- De l'autre des cadres techniques placés
auprès des fédérations. Le cadre technique un janus à deux voire trois
têtes nommé par le ministre des sports qui tient ses directives du DTN,
qui agit dans le cadre des lettres de mission du directeur régional de
la jeunesse des sports et de la cohésion sociale et qui rend des compte
à son président de ligue. Cette situation de placement qui constitue
une bizarrerie administrative par rapport aux régles de la fonction
publique de détachement et de mise à disposition constitue bien une
exception sportive. Aujourd'hui les cadres techniques sont au cœur de
toutes les attentions et des tensions entre le ministère et le
mouvement sportif.
Faut il renforcer cette spécificité ?
C'est la question qui est au cœur selon nous de la loi de modernisation du sport.
Pour
y répondre il s'agit donc bien d'interroger d'une part ce qui doit
faire l'objet de missions de service public et d'autre part les
modalités de gestion de ce service public ?
- Quel service public ?
Il n'est pas opportun de
remettre en cause la délégation de pouvoir aux fédérations sportives,
même si on pourrait considérer aujourd'hui que le mouvement sportif est
suffisamment mature pour imposer le monopole des disciplines sans
disposer de prérogatives de puissance publique.
Mais la mission de
l'Etat (protecteur) dans le domaine du sport doit -elle être limitée
aux interventions « régaliennes « : la réglementation, la sécurité, la
lutte contre le dopage, la certification voire la formation. Sur ce
dernier sujet nous déplorons l'évolution des 20 dernières années et
nous considérons qu'il grand temps de mettre fin à cette pétaudière (cf
notre édito et lire aussi le rapport du 23 décembre 2013 des inspecteurs
généraux....)
Ou, l'intervention de l'Etat (providence) doit elle porter sur le
développement de la pratique sportive, le haut niveau, l'incitation à la
pratique sportive, l'organisation de la pratique non compétitive, ....
- Quel mode de gestion ?
Si le service public est la clé d'entrée de la réflexion sur la
gouvernance du sport, le mode de gestion de ce service public est
également essentiel tant les cadres techniques interviennent à la fois
sur des missions régaliennes, des missions déléguées aux fédérations et
plus généralement sur des missions d'intérêt général.
Pour simplifier il convient d'identifier le mode d'action de l'Etat et les moyens consacrés autour de 4 axes :
- faire (les missions régaliennes),
- faire avec (partenariat),
- faire faire (la délégation de service public) ,
- laisser faire.
Seul un débat partagé 1 sur le service public du sport en premier
lieu et 2 sur le mode de gestion de ce service public permettra de
clarifier le débat sur l'avenir du modèle sportif français et la place
des cadres techniques.
2 projets qui doivent converger.
Il aura fallu un an et demi pour que la ministre des sports dans un
communiqué « salue l'ambition et la qualité du projet du CNOSF pour le
sport français » et pour que le président du CNOSF à propos du
courrier de la ministre aux présidents des fédérations lors de ses voeux souligne que , « un courrier qui laisse
entrevoir de réelles perspectives d'évolution du modèle sportif français
qui vont dans le sens que nous souhaitons ».
1 an et demi de perdu,
peut être pas mais en tout cas un an et demi pour que chacun trouve ses
marques. Maintenant place au projet commun !
Toujours pertinent Monsieur Bayeux! Bien entendu, au delà des questions juridiques et administratives se pose la question quelles ambitions pour les sports? La dialectique est toujours posée sur le mode de gestion et surtout sur la maîtrise des éléments financiers ( CNDS en particulier et droits télévisés accessoirement). Il est indéniable que le modèle français comporte des inconvénients mais aussi des avantages. Qu'en sera t'il des avantages relevant du service public lorsque celui ci sera remis en cause par la jurisprudence européenne en l'absence de délégation expresse? Quelles seront les luttes de pouvoir au sein du mouvement sportif lorsque celui ci ne sera plus médiatisé par l'Etat? Il est de bon ton d'affirmer ou de promouvoir des projets de gestion séduisants qui risquent de ne pas résister à la fragmentation induite par le concert des disciplines. Le CNOSF revendique une autonomie complète mais sera t'il le garant de la mission de service public lorsque les activités non compétitives seront à la merci de la concurrence commerciale? Rien n'est moins sûr au regard de la jurisprudence européenne. Les bonnes intentions européennes sur le sport ne garantissent pas une gestion égalitaire et continue, au contraire elles mettent paradoxalement le secteur commercial en lumière comme acteur du développement ( Voir arrêt Meca Medina) Le profil libéral du Président du CNOSF n'apporte aucune garantie sur le sujet. Je serai conduit à développer plus avant tous ces arguments dans un travail plus élaboré.
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